vendredi 15 avril 2011

Romance Indienne

La scène se passe dans un bus Jaipur/Ajmer. Une jeune fille, apparemment occidentale mais portant pourtant l’habit traditionnel que toute jeune fille correcte se doit de porter en Inde (surtout si elle voyage seule), essaie d’éviter qu’une personne lui fasse don de sa présence à ses cotés jusqu'à ce que, le bus plein (se souvenir : en Inde, les bus ne peuvent être que pleins), un homme se décide à s’y installer nonchalamment. Après quelques minutes de voyages, la jeune fille croit avoir affaire à un Indien ‘correct’ ; elle entend par Indien correct un Indien qui non seulement ne la regarde pas étrangement et fixement, mais de surcroît ne tente pas de lui demander d’où elle vient/où elle va/si elle est mariée, ni de la prendre en photo, ni encore – horreur ! – de la toucher.


Le bus continue sa route chaotique, tentant d’éviter tant bien que mal les véhicules qui se pressent dans les deux sens de la circulation. Sur une ‘autoroute’, il n’est pas toujours évident de distinguer qu’en Inde la conduite est à gauche (ainsi que la file la plus lente, en théorie), on double par les deux cotés et la file la plus rapide est régulièrement celle qui est la plus à gauche. On se sentirait presque en France si le bus ne changeait pas soudainement de file à grand renfort de klaxon.


Les lumières internes du bus s’éteignent, plus moyen de lire pour passer le temps et avoir l’air si absorbé que personne n’oserait intervenir pour poser l’une ou l’autre des questions susmentionnées. L’Indien ‘correct’ est décidément moderne, ayant en sa possession un smartphone – ce qui, avouons-le, est très pratique dans un bus Jaipur/Ajmer sans lumière –, et donc pouvant s’adonner a l’activité préférée d’au moins deux, trois personnes (alternativement) dans un bus Indien, surtout la nuit : régaler tous les autres de chansons Indiennes, souvent pas des meilleures mais indéniablement populaires. Ayant la chance inouïe de se trouver a coté d’une de ces personnes, et n’ayant rien de mieux à faire, la jeune fille peut régaler ses yeux des clips vidéo associés aux chansons. Il faut bien avouer que les sons et lumières sont moins ennuyeux que les sons seuls, dans un bus Jaipur/Ajmer sans lumière.

Je ne peux résister à l’idée de vous faire partager ces visions.

Chanson qui se lamente, jeune homme tout de noir vêtu au milieu d’un mariage – pas le sien. Gros plan sur le visage de la mariée aux-yeux-bleus-qui-se-noient-de-larmes, seule, dans une chambre somptueuse. Il chante, chante le drame. Tout le monde danse, s’amuse. Gros plan sur le visage de la mariée aux-yeux-bleus-qui-se-noient-de-larmes. Celui qui est visiblement le marié vient vers l’homme-en-noir, le salue. L’homme-en-noir fait bonne figure, tente un sourire forcé, une embrassade virile, et continue à chanter son désespoir. Gros plan sur le visage de la mariée aux-yeux-bleus-qui-se-noient-de-larmes. L’homme-en-noir est seul au milieu de cette foule qui se réjouit, et crie le drame. Soudain, on est transporté dans les montagnes, près d’un adorable chalet, où un couple divinement heureux – visiblement l’homme-en-noir et la mariée-qui-pleure –, chante et se répand en sourires et gestes tendres. Retour au gros plan sur le visage de la mariée aux-yeux-bleus-qui-se-noient-de-larmes. L’homme-en-noir monte les escaliers interminables, le marié le voit d’en bas et semble comprendre que quelque chose de ter-ri-ble se trame, quelque chose de douloureux qu’il n’avait pas saisi (faut-il être aveugle). L’homme-en-noir continue de chanter et de monter. Gros plan sur le visage de la mariée aux-yeux-bleus-qui-se-noient-de-larmes. Gros plan sur le visage du marié aux-yeux-emplis-d’inquiétude-et-d’angoisse.

Et puis plus rien, le clip s’arrête là sur le smartphone de mon voisin. Je ne saurai jamais la fin.

Ek aur ?

Au milieu de la campagne luxuriante Punjabi, un homme Sikh visite une maison rurale d’une famille Sikh (c’est ainsi que j’en ai deviné le lieu). Il discute allègrement et dessine. Une jeune fille est là. Soudain, nous sommes transportés sur un chemin : l’homme conduit un tracteur avec la charmante jeune fille dessus, tous deux chantent. Image romantique s’il en est. Puis le jeune homme marche à côté du tracteur et la jeune fille conduit, encore en chantant. Enfin, ils s’arrêtent à une pompe et s’abreuvent d’eau fraîche, toujours en chantant. Coucher du soleil, sur le toit d’une maison, après un jeu de je-te-suis-tu-me-fuis classique dans les romances Indiennes, la jeune fille consent à laisser reposer sa tête sur la poitrine de l’homme. Hop ! Image d’après, les voilà mariés.

C’est pratique, me direz-vous.

Last but not least:

Une jeune fille, un jeune homme.

La jeune fille, dans une maison au milieu de la campagne, regarde un homme qui n’a d’errant que les habits et la couverture (pour le reste, il fait bonne figure et paraît plutôt bien nourri), et s’approche, et chante (bien-sûr). Elle ne veut pas le voir, retourne dans la maison. Il chante, adossé à un arbre, et sa voix troublante et désespérée semble être un défi au vent. Le soir venu, elle tente de manger et même de boire ; mais hélas, ne peut rien avaler à la vue de cet homme, dehors, qui chante sous un vent effroyable. Le lendemain matin, elle court au dehors, le visage inquiet, les gestes désordonnés. Oui, il est bien resté dehors toute la nuit ! Elle court, folle, hagarde, les cheveux au vent. Le vent est si terrible que plusieurs fois elle lutte, tombe, rampe accrochée aux herbes folles. Lui, soudain, se lève, couverture au vent. Elle arrive enfin auprès de lui. Il se retourne vers elle. Le chant devient plus doux, plus suave, la jeune fille se précipite dans les bras de l’homme.

Nous sommes tous bien soulagés.

De ceci, une liste des choses indispensables à tout clip-vidéo bollywoodien populaire (je ne parle pas des clips récents, qui font dans le vulgaire occidental de façon très réaliste) :

- Un jeune homme et une jeune fille

- Une rencontre, un drame, un mariage, ou bien encore une composition de ces trois éléments essentiels

- Beaucoup de vent (c’est très important pour le côté romance, ça fait voler les cheveux et les voiles)

- Une transposition dans un endroit au milieu de la campagne/du désert/de la montagne/de la plage : le couple, seul, danse et chante son bonheur, jeu du je-te-fuis-tu-me-suis. On se demande toujours bêtement comment ils sont arrivés là.

Les lumières se rallument, Ajmer n’est plus très loin. L’étrangère reprend son livre. L’Indien correct a le temps de prendre une photo – ça aura beaucoup de succès auprès de ses amis : hey, regardez, vous allez pas me croire, j’étais à côté d’une blanche dans le bus !

Retour brutal aux réalités de ce monde.

Les lambeaux de rêve d’une romance Indienne se dissipent avant l’arrivée et les retrouvailles.

2 commentaires:

  1. Super intéressant ! Je pense reconnaitre certains clips (le tracteur notamment), mais je devrais retourner reviser mes classiques avant de lancer un titre.
    Un blog à inscrire sur l'annuaire des blogs et sites sur l'Inde !
    http://www.djoh.net/annuaire/

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  2. Merci beaucoup de vos encouragements !

    Si vous retrouvez un titre, faites-moi signe. je serai heureuse d'en connaître les sources :) ...

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