Arrivée à Delhi, 6:20 heure locale, un ciel désespérément bleu où surnagent trois nuages, les feuilles tombent : c'est le printemps.
Il faut bien voir qu’il y a deux saisons où les feuilles tombent. Je n'ai pas encore tout à fait éclairci le point de savoir si ce sont les mêmes arbres, ça ne semble pas un point d’importance pour les Indiens à qui je demande. Il y a des fleurs, aussi, qui éclairent ces pluies dorées de feuilles, se pressant de relever les tons poussiéreux de couleurs chatoyantes avant que le souffle brûlant de Mai-Juin ne les dessèche.
Il n’y a pas qu’elles, d’ailleurs, que ce souffle va dessécher. Il y a également tous ceux qui profiteront de ces chaleurs pour s’avachir une dernière fois, dans la rue, à côté d’une voie ferrée, n’importe où, les yeux mi-clos : ce sera la fin de leur quête présente, on espère qu’ils ont assez vécu pour obtenir un meilleur poste à la prochaine distribution des rôles. Les spectateurs passent, insouciants, jettent à peine un regard morne à ces os dont le seul vêtement est désormais une peau décharnée, s’en vont prendre le train pour Jaipur. C’est donc ce que j’ai fait, en bonne imitatrice. Qu’aurais-je dû faire ? Il est visiblement trop tard. Et quand à le toucher, certainement pas : sans doute une caste impure. On le ramassera avec les chiens.
Le printemps, un nouveau cycle commence, une nouvelle ère pour l’Inde. Delhi a changé en quelques mois, peut-être l’effet Commonwealth Games, je n’en sais rien. Quoi qu’il en soit, je reconnais autant que je suis surprise par cette ville qui m’était familière. Je n’y passe que peu de temps, pas assez sans doute pour un jugement définitif sur une impression de surface. Simplement, l’Inde change à une vitesse folle, et ce tourbillon est à la fois enivrant et angoissant à observer. Spectatrice béate de la course dans laquelle elle s’est lancée, n’en distinguant pas très bien le but (le distingue-t-elle elle-même ?), je retiens l’image de ce corps décharné qui, ne pouvant plus se mouvoir, côtoie enfin les heureuses middle class s’apprêtant à voyager dans le wagon AC (avec moi).
Retour au pays des extrêmes et de tous les possibles, même les pires. Même les meilleurs, par cette incroyable faculté de contradiction.
Les feuilles tombent, c’est le printemps.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire