jeudi 17 septembre 2009

L'Inde peut-elle être rationnelle ?


C'est une grande question. Je n'aurai pas la prétention d'y répondre, seulement celle de l'éclairer un peu plus.
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L'Inde échappe invariablement à nos repères cartésiens - et c'est également à cette occasion que l'on prend conscience ô combien nous baignons depuis notre plus tendre enfance dans la culture de la raison.

Les premiers cours d'économie posent les fondements d'une entité abstraite construite par nos chers économistes pour fonder les modèles : l'homo oeconomicus. L'homme est supposé rationnel, occupé à maximiser son utilité sous contrainte (utilité ayant un sens large, l'économiste ne s'embarrassant pas de morale (qu'il dit)). Dès lors, on peut analyser les comportements à travers cette grille bien pratique de coûts d'opportunité et d'anticipations rationnelles : l'individu est calculateur, et recherche son profit. On peut expliquer ce qui se passe dans une société industrielle de façon relativement cohérente à la lumière de ces axiomes ; et le but ici n'est pas de souligner que l'on peut les remettre en cause (mais on peut tout à fait).

Bon, mais voilà. Plongée dans cette foule colorée de la rue de Delhi, je ne vois pas d'homo oeconomicus. Vous me direz qu'en France non plus, mais c'est relativement plus flagrant ici. Un rickshaw, aussi pauvre soit-il, qui a décidé que c'était le moment de sa sieste ou qu'il n'avait pas envie d'aller là où on lui demande, refusera. Un commerçant qui discute avec quelqu'un d'autre ne s'empressera pas forcément de te servir. On ne semble pas voir l'intérêt d'inscrire le nom des rues et d'organiser de façon plus optimale (et ce ne serait pas bien difficile) la circulation ou le ramassage des déchets, ni pourquoi il faudrait une seule personne là où on peut en mettre une et trois qui regardent. Des situations seraient impensables en France, ou du moins s'en plaindrait-on avec vigueur : le client est roi. La culture du profit ne va pas sans une culture du service, permettant de valoriser le produit. Pour réussir, on se doit d'être organisé, productif, aimable, souriant, tout en anticipant la suite. Et il faut réussir.
En Inde, on a parfois l'impression que personne ne voit l'intérêt de faire autrement. Les choses fonctionnent mal, sont désorganisées, bidouillées, mais on finit par y arriver (avec une petite dose d’humour et une bonne dose de patience, sans avoir peur d’insister lour-de-ment).

Alors, si l’on suppose que tout individu se comporte de manière rationnelle, il faut chercher en Inde une autre racine de la rationalité. Si leur comportement me paraît irrationnel, ce ne serait qu’en tant qu’observateur extérieur et étranger à ce monde que je le considérerais comme tel. Soit.

J’ai alors un début de réponse : lorsqu’on est en Inde, il ne faut jamais oublier que ce pays qui fait environ cinq fois la superficie de la France compte quelques 1,2 milliard d’habitants … Nombre en augmentation. Dans un processus d’industrialisation, on a tendance à mécaniser les structures de production pour accroître la productivité. La rationalité impose que l’on optimise le rapport capital/travail de façon à maximiser le profit. Le hic, dans cette histoire, c’est que ça n’est pas facile d’occuper des millions d’individus si l’on commence à mécaniser toutes les structures … Et qu’il est plus avantageux d’employer cinq personnes dont quatre qui ne servent à rien (chose absurde et contre-productive, donc irrationnelle pour un français), ou plus sérieusement de continuer à utiliser la main-d’œuvre disponible dans les campagnes pour l’agriculture, plutôt que de chercher à être plus productif.
Parce qu’ici, on cherche peut-être moins à optimiser les moyens de production pour un résultat qu’à optimiser le résultat en fonction de l’utilisation la plus large possible du facteur humain. Gilles Vernier nous disait aujourd’hui qu’il est moins cher d’employer à temps plein des personnes pour ouvrir la porte d’un hôtel ou d’un magasin que d’installer un processus mécanique ; et de notre expérience, il est plus avantageux d’employer quelqu’un à faire notre lessive plutôt que d’acheter un lave-linge. Ici, il y a quelqu’un pour chaque tâche tout simplement parce qu’il ne peut pas en être autrement. Les bouches à nourrir ont heureusement la priorité sur la productivité (et peut-être pas encore assez, mais le sujet de la pauvreté et de la sous-nutrition en Inde est une autre histoire).

Le facteur humain compte donc énormément dans cette rationalité toute spéciale de l’Inde – bien que, je vous l'accorde, cela n’excuse pas toujours la désorganisation. Mais il y a là un trait culturel qu’il faut prendre en compte dans l’analyse …

1 commentaire:

  1. Pas du tout d'accord sur le fait qu'il n'existe pas, en France, des domaines où l'un travaille et plusieurs autres regardent. Nous sommes même les inventeurs de ce type de situation avec des leaders mondiaux tels que la SNCF ou la DDE. Nous payons d'ailleurs des dizaines de milliers de fonctionnaires à ne rien faire d'autre que cela et nous en sommes fiers. Je suis ombrageux sur ce point car il s'agit d'un honneur national.

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